CR Swiss Iron Trail T201 : Version Synthétique par TomTrailRunner
Par TomTrailRunner - 19-10-2014 15:46:16 - 4 commentaires
14 au 16 août : Swiss Iron Trail T201
Mon Swiss Iron Trail 201 est la quintessence de tant de moments qu’il ressemble à un arc-en-ciel
Un arc en ciel de lumières
Un arc en ciel de couleurs symboliques
Un arc en ciel de performances
Un arc en ciel d’eau
Un arc en ciel de nationalités rencontrées
Un arc en ciel de sensations
CR Swiss Iron Trail T201 : Version Analytique par TomTrailRunner
Par TomTrailRunner - 19-10-2014 15:45:51 - 17 commentaires
14 au 16 août : Swiss Iron Trail T201
Mercredi 13 août fin de journée
Davos, Suisse,
6h de route depuis le boulot pour traverser toute la Suisse : 6h pour « changer de costume » et rentrer dans une bulle. Une longue discussion fraternelle au téléphone me permet sur la fin du trajet de partager sur cette passion et sur le sens qu’elle requiert pour moi ; je suis serein et confiant dans le pourquoi de ma présence ici pour une ballade qui sort tout de même de l’ordinaire.
Ce Swiss Iron Trail s’annonce comme la plus longue des courses (faut-il parler de course ou de voyage ?) que je n’ai jamais faite ; je l’aborde avec le plus d’humilité possible sachant que la route sera très très longue et que je viens surtout pour profiter du plaisir de parcourir de nouvelles montagnes, faire des photos (1ère fois que j’embarque un « vrai » appareil avec moi) et tenter de rallier l’arrivée sans aucune idée de performance. Je suis serein dans ma préparation depuis le début de l’année sachant que j’ai globalement réussi à concilier les différentes facettes de la vie tout en assimilant le plus gros volume d’entrainement sur 6 mois que je n’ai jamais réalisé.
Ce Swiss Iron Trail s’annonce comme très humide : il a plu tout au long du trajet et Davos est sous une pluie ininterrompue, un vent très frais et un plafond très très bas alors même qu’à quelques km de là, les championnats d’Europe d’athlétisme sont interrompus par une mini-tornade. Je suis serein dans ma capacité à traverser les éléments même si je redoute le fait de ne pas pouvoir profiter des paysages.
Je suis serein et Davos l’est encore plus : peu de traces de la course dans une station-ville qui a l’habitude de voir de multiples événements tout au long de l’année. Après renseignement à l’office des sports, je tombe finalement sur le gymnase où toute l’orga est regroupée. Ambiance de suite internationale puisque bon nombre de langues différentes sont parlées ici : je signe la décharge, je retire mon dossard, mes 3 sacs à déposer (Samedan pour la première base vie, Savognin pour la seconde et Davos pour l’arrivée), la pochette plastifiée regroupant les cartes détaillées du parcours ainsi que la puce GPS en gage de sécurité pour tous et qui, accessoirement, permettra le suivi en temps réel.
L’ambiance est presque intimiste (170 partants en tout et pour tout sur le format T201) et, à l’inverse de souvent lors de mes autres courses, je ne connais bien évidemment personne. Je retourne à l’hôtel où je croiserai un coureur Japonais en train de sortir trottiner sous la pluie battante ; je ne vais pas tarder à le suivre et vais même le croiser deux fois où nous échangerons un signe silencieux, un regard traduisant la compréhension mutuelle que nous sommes venus dans ce coin des Alpes suisses pour la même raison. C’est juste un petit jogging très tranquille histoire de dérouler un peu les jambes et de repérer un petit resto italien qui me servira de très bonne bolognaise peu après.
En sortant du resto la pluie a enfin cessée et la fraicheur du soir tombe vite (on est à 1600m d’altitude tout de même) : je rentre vite préparer mes sacs. Je suis serein ….mais le sommeil ne vient pas si facilement tout de même
Jeudi 14 aout réveil : Davos
Après 6h de sommeil, mon premier réflexe est de regarder le ciel et d’avoir le plaisir de découvrir un ciel moins plombé que la veille où le bleu pointe par endroit derrière des petits nuages. Fin de la préparation des sacs, petit dèj où je recroise « mon » japonais qui est en fait en couple et je pars déposer les sacs avant de m’accorder une petite « sieste » allongé, histoire de bien re-regarder le parcours, le profil, mes différents plannings de temps de passage qui ne sont que des indications d’allures afin de me situer. Je m’équipe tranquillement et pars en marchant pour la ligne de départ…
Jeudi 14 aout 11h50 : Davos
Un mini-briefing multilingue, une photo, quelques regards et paroles échangés sur la ligne de départ et le starter nous laisse partir sous un soleil très timide. On parcourt quelques centaines de mètres sur la fameuse « Promenade » de Davos puis nous descendons à gauche pour franchir la rivière et de suite attaquer une première montée par une piste forestière qui étire déjà le peloton au sein duquel je me suis positionné au milieu du paquet. Au bout de 2 km, nous arrivons sur un single en forêt très agréable légèrement montant puis descendant qui nous permettra d’arriver au petit village de Clavadel non sans avoir déjà commencé à éviter des flaques d’eau et franchir deux barrières. C’est ici que je verrai le premier des petits panneaux kilométriques positionnés tous les 5kms : il indique le chiffre rond de 200 et matérialise tout de même l’immensité du défi qui m’attends (moi qui n’en ai jamais parcouru plus de 170 d’une traite). En ce début de course, la foulée est bien évidemment souple et assez dynamique ; en retenue musculaire des jambes et reposant sur l’avant pied.
Quelques centaines de mètres sur une petite route nous permettent de remonter tranquillement la vallée avec déjà de belles vues à gauche et à droite sur des sommets qui sont 800m plus haut. Je vois mes premières vaches, suis un peu dérangé par le ballet d’un hélicoptère qui fait des travaux forestiers au dessus de nos têtes et je progresse avec encore d’autres concurrents autour de moi jusqu’au premier point d’eau de Sertig Dörfli que l’on rejoint après une traversée à l’horizontal des derniers hectomètres de forêt.
Simple remplissage d’un peu d’eau et je sors les bâtons pour ce qui s’annonce comme la première difficulté de la course avec 900m de D+ pour atteindre les 2739m à Sertigpass. 1800, 2000, 2200, 2400 : l’altimètre monte progressivement, le terrain est de plus en plus minéral, l’eau omniprésente, les appuis un peu plus délicat et les nuages plus proches. Nuages tellement proches que nous rentrons dedans et qu’une légère averse de neige nous enrobe de son manteau. Je me sens bien et reste toutefois en manche courte avec juste une paire de gants en soie. Une fois le col franchi, le sentier redescend un peu et découvre un paysage superbe : malgré une lumière un peu blanchie par le plafond nuageux et la neige qui continue de tomber, ni une ni deux, je fais une pause pour sortir l’appareil photo et me fait dépasser par quelques concurrents qui me demandent gentiment si j’ai un problème.
On remonte un peu plus loin pour franchir un col (à Chamana digl Kesch) situé au km 22 et bifurquer plein ouest de l’autre côté de la montagne. Nous avons changé de versant et de vallée et au passage nous allons changer de météo : les nuages se font plus rares et les coins de ciel bleu laissent bientôt place à de belles lumières et une température plus douce se fait ressentir au fur et à mesure de la descente. Je savoure pleinement ma chance d’être là et descend d’un bon pied en doublant occasionnellement de-ci de là quelques concurrents. Arrivé vers 2000m, le terrain se fait de plus en plus gras, la végétation reprend ses droits et je m’offre une gamelle sur un mauvais appui du pied gauche. J’ai pressenti le pire et, dans le geste, ai réussi à ne pas trop m’appuyer sur mon pied mais je sens bien qu’il s’agit d’une petite entorse : instantanément la douleur est violente mais s’estompe alors même que je suis assez « chaud ». D’évidence c’est une forte contrariété en ce début de course mais je poursuis en prenant bien garde à mes appuis dans cette descente assez raide et glissante.
J’arrive au superbe petit hameau de Punts d’Alp niché au fond de sa vallée à partir duquel la pente s’avérera moins raide et le terrain plus confortable puisque nous alternons piste forestière, petite route et sentier durant une petite heure afin d’atteindre le ravissant village de Bergün en 5h10 et en 64ème position*
Jeudi 14 aout 17h : Bergün (34km ; 1500m D+ ; 1723m D- / 64ème position en 5h10mn dont 15mn de pauses)
Premier pointage dans ce village ; le ravito est situé dans une superbe salle de sport et les bénévoles sont déjà aux petits oignons pour les quelques concurrents qui sont présents en même temps que moi. Je grignote un peu, fais le plein et repars en prenant des photos de ce petit village typique.
La suite du parcours jusqu’à la première base vie s’annonce avec une montée progressive de 9km puis d’un double franchissement à 2400/2500 avec 600m de D+ à chaque fois. Un œil sur mes différents tableaux de passages me permet de me rendre compte que je suis (comme d’habitude) un peu rapide puisque presqu’au niveau de mon hypothèse la plus optimiste ; hypothèse qui se veut d’avantage un rythme plafond à ne surtout pas dépasser plutôt qu’une quelconque ambition finale. Je repars donc tranquillement en calculant que je devrais pouvoir arriver à la base vie un peu après 9h du soir soit juste avant la nuit tombée. La progression se fait dans un paysage champêtre avec de magnifiques lumières où je chemine de concert avec un autre concurrent qui me lâche progressivement alors qu’un autre duo me double également : je ne me formalise pas et les laisse partir alors même que ma cheville me refait un peu souffrir.
Durant un long moment, en remontant cette vallée, on suit une ligne de chemin de fer faite d’ouvrages sublimes accrochés aux parois raides : il s’agit de l’Albula Line du Glacier Express avec ses 144 tunnels et ponts inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Je regarde du coin de l’œil les panneaux explicatifs sur l’histoire de cette ligne ferroviaire, de sa construction et des hommes qui l’ont construite il y à plus d’un siècle ; notamment l’étonnant tunnel hélicoïdal qui permet au train de grimper des pentes proches de 70%. Pas de chances, je n’en verrai pas passer mais je profite du merveilleux reflet des montagnes sur les lacs de Palpuogna pour faire une pause-photo et laisser partir devant ceux qui progressaient juste devant moi.
L’altitude continue à grimper gentiment alors même que les km ne défilent pas très vite : la solitude aidant, cette progression est bien longue et me voilà débouchant sur un plateau à plus de 2000m.
Suivant les indications (en allemand) d’un bénévole, je continue sur le sentier qui évolue plus ou moins à plat dans un terrain gorgé d’eau. J’hésite en permanence entre mettre les pieds dans la trace inondée ou jongler avec le terrain glissant pour éviter toutes les flaques : première solution ou deuxième, peu importe au final car c’est aussi fatigant musculairement et d’un résultat peu probant car les pieds sont trempés puis imbibés. Je ne vois pas bien le temps passé ainsi mais cela continue et cela dure suffisamment longtemps pour me paraitre ne plus correspondre au profil prévu. Hésitation, incertitude alors même que nous sommes toujours sur la trace balisée (balisage très judicieux comme ce sera le cas sur toute la course et nécessitant la juste dose d’attention puisque indiquant très clairement chaque changement de directions sans pour autant être envahissant). L’altitude monte ainsi progressivement jusqu’à 2350m mais ceci dure bien 1h alors que les falaises sur notre gauche et les sommets au loin commencent à rosir puis rougir des lumières du soir sous des nuages sombres (l’orage n’est pas loin). Je suis un peu désorienté par ce cheminement qui se met à basculer négativement puis à descendre plus franchement.
Finalement j’arrive à un point d’eau et questionne les 2 bénévoles présentes qui, heureusement, parlent anglais. J’apprends ainsi que le parcours a été dévié pour éviter un orage sur les sommets (Fuorcla Crap Alv à presque 2500 puis Margunin à 2400m) et qu’il présente dorénavant une descente dans la vallée que nous logerons durant 4 ou 5 km pour rejoindre la base vie de Samedan. Je suis rassuré, refait le plein d’eau (j’étais presque à sec avec cette déviation) et m’engage dans la descente franchement. Trop franchement car un appui sur une énooooorme bouse de vache se transforme en glissade contrôlée puis incontrôlée sans autre dégâts que de belles traces sur mes jambes :). Je me retrouve en « bas » pour ensuite « contourner » la montage par un passage un peu long mais sans aucune difficulté où il faut tout de même trottiner pour ne pas s’éterniser. Arrive un village qui ne se révèle pas être Samedan et à partir duquel il faut remonter quelques centaines de mètres avant de retrouver la trace initiale. En compagnie d’un concurrent allemand (désolé oublié son nom) avec qui nous cheminions ensemble depuis une dizaine de mn, on arrive enfin dans le bourg, on rentre dans la gare pour descendre sous les voies ferrées pour les traverser via le tunnel d’accès aux quais et rejoindre ainsi la base vie en 9h50 environ après que la déviation nous ait rallongé le parcours d’un bon 4km et rabioté le D+ d’environ 500m.
Jeudi 14 aout 22h28 : Samedan (56+4km ; « 2500m D+ ; 2400m D- / 58ème position en 10h38mn dont 1h de pauses)
Base vie très bien organisée : à peine le temps d’arriver qu’un bénévole me donne déjà mon sac. Je m’installe et vais bien me gérer sans m’exciter en 35mn tout en devisant avec un concurrent du format T141 (145,8km et 8220 D+) qui va s’élancer à minuit et un duo de Dannois inscrits sur la course et étant un peu inquiet de leur aptitude à encaisser le dénivelé (c’est leur premier trail !!!!) qui reparteront avant moi. Je commence par le prioritaire (à savoir aérer et laver les pieds) puis l’indispensable (se ravitailler de 2 assiettes de pasta bolognaise) et enfin le nécessaire (changement de tenue pour du long) et le superflu (petites douceurs à mettre dans le sac). Je repartirai donc en 58ème position* la nuit bien tombé mais relativement confiant.
1 ou 2 km de plat pour longer l’aérodrome local et nous voilà directement dans la pente : 1100m de D+ et 150 D- en 4km. Les 30-40 premières mn se passent bien et je vois même « mes » 2 Danois un lacet au dessus de moi. Puis tout d’un coup, j’ai l’impression de moins avancer, voire de ne plus progresser : 1 puis 2 puis 5 puis d’autres concurrents me dépassent et je me sens vide sans être bien capable aujourd’hui encore de bien l’expliquer (problème d’alimentation, d’habillement sur la première partie de course ??). Je tente de faire un checkup mental (la cheville ne me fait pas trop souffrir, je suis bien équipé, les muscles répondent bien) mai rien n’y fait : c’est comme si je roulais sur 3 cylindres au lieu de 4. Je prends mon mal en patience et continue un pied devant l’autre dans cette partie forestière franchement raide où l’on ne voit pas la suite du relief ni plus loin que les quelques frontales au dessus et en dessous de soi. Tout d’un coup, je recroise les Danois qui redescendent pour abandonner avec le sourire en encourageant chacun au passage d’un petit mot (très sympa).
La nuit est claire et je sors enfin de la forêt bien que j’avance toujours aussi laborieusement et que je commence même à avoir froid et à ressentir de la fatigue. Cahin caha, nous arrivons à 2454m à Muottas Muragl ; je profite du replat et de l’abri d’un bâtiment pour passer une 2ème paire de gants chaud et veste goretex tout en avalant un gel. Ceci me requinque un peu et je trottine le faux plat descendant qui nous amènent au pied de la partie terminale : on voit parfaitement la trace faites par la dizaine de frontale qui se détachent sur la masse sombre de la montagne alors même que la lune quasi pleine nous éclairent tel un phare dans la nuit. On voit parfaitement la trace mais surtout parfaitement que la trace est raide voire très raide ; 400D+ à faire qui me prendront une heure d’un pas régulier rythmé des coups d’œil sur l’altimètre et le paysage environnant.
Plus personne ne me double, je ne double plus personne : je ne ressens aucunement la solitude mais pleinement le fait d’être tout seul au milieu de cette montagne au milieu de la nuit les sens parfaitement en éveil. Tout d’un coup, j’arrive à un refuge et cette lumière, cette goute de vie me sors soudainement de ma torpeur. 2 concurrents sont là en train de déguster un thé chaud que le gardien nous offre gentiment : ils repartent mais je profite quelques instants de la vue à la surprise du gardien des lieux qui m’indique le chemin de la descente. Après des heures de silence, je savoure de parler quelques instants et de profiter de sa passion pour « son coin » alors qu’il me décrit le paysage : superbe dégradé de noirs dessinant les montagnes et le ciel, quelques nuages d’altitude et tout en bas les villages de St Moritz sur notre droite et de Pontresina sur notre gauche. Le sol est totalement givré et la température est sans doute proche des -5°C : pas le courage de sortir l’appareil photo et je le regrette encore un peu aujourd’hui.
Je repars donc par un chemin en lacet qui descend régulièrement mais franchement (900D- en 4kms). Un bruit de foulées légères derrière moi et déjà le premier concurrent du T141 me dépasse : parti à minuit de Samedan alors que moi-même j’ai quitté la base vie 90mn plus tôt, il m’a rattrapé vers 1h50 du matin ! Suivront ensuite quelques autres que je m’empresse de ne pas suivre. Je garde un rythme correct sans trop forcé mais je ressens tout de même ma cheville sur chaque appui nécessitant une torsion : je lui consacre beaucoup d’attention pour être le plus « léger » possible. Chemin faisant, je rattrape même un ou deux concurrents qui ont l’air en délicatesse avec leur quadriceps pour arriver finalement à Pontresina au beau milieu de la nuit.
Vendredi 15 aout 2h14 : Pontresina (68+4 km ; 3600 D+ ; 3400m D- / 64ème position en 14h24mn dont 1h30mn de pauses)
Fatigué, envie de dormir, mal à la cheville (et aux pieds aussi), encéphalogramme plat… et ce ravito ne va rien faire pour me revigorer : il est situé dans un parking souterrain, sans endroit pour s’allonger, sans beaucoup d’âme malgré la gentillesse des bénévoles : défilent des coureurs du T141 en pleine dynamique et quelques autres du T201 qui toutes/tous ont le visage un peu marqué. Je me souviens de ma première base vie nocturne lors du GRP 2009 et me dis qu’il ne faut surtout pas se laisser aller par cette torpeur si trompeuse : je me positionne en mode robot, je fais ce qu’il faut faire et tente de repartir « au plus vite » sans avoir pu avaler de pâtes ou quelque chose de consistant.
D’après le profil, suivent 8kms à fond de vallée pour remonter le Val Roseg avant d’atteindre la prochaine difficulté dite « sérieuse ». Mais ces 8kms de faux plat montant (250m de D+ tout au plus) sont une difficulté à part entière dans mon état de forme du moment : je n’arrive pas à trottiner, je n’arrive pas à faire l’effort de faire monter le cardio, la route est encore trop longue ; le gros du peloton du T141 me double et la fierté en prend (stupidement) un coup ; en pleine nuit, ce n’est pas l’heure d’envoyer des SMS à la maison ; ... Juste une chose à faire : avancer pas à pas, s’alimenter sérieusement en prévision de la suite, se couvrir, laisser l’esprit dériver, trouver dans chaque instant des motifs de satisfaction (le bruit simple de l’écoulement de la rivière en contrebas m’a beaucoup aidé). Au bout de la piste, voici enfin un pont et un panneau « vers la droite » qui découvre la face à gravir avec des frontales éclairant faiblement la nuit de loin en loin mais montrant l’ampleur de la montée.
Je traverse le pont, fait quelques centaines de mètres sur une piste, dois traverser un champ totalement détrempé par des flaques que l’on ne peut éviter (les pieds de nouveaux trempés) et m’engage vaillamment dans la grimpette puisque je me dis que ce sera moins monotone que la portion précédente. Chaque frontale au dessus est comme un signal et un défi : hors de question de toutes les rattraper mais chacune est l’occasion de baliser le parcours et de progresser sérieusement sans se mettre dans le « rouge » alors même que la pente s’élève jusqu’à 2755m. La montée est faite d’à-coups : un petit mur, une traversée, une grimpette, un replat, un autre mur, une montée en dévers… Problème, la montagne ruisselle : la trace est parfois un ruisseau du fait des écoulements, les appuis sont au mieux incertains dans la boue, au pire fuyant sur des plaques de roches humides. Cependant, le point du jour arrive alors même que j’approche des dernières hauteurs dévoilant une enfilade de pic très largement au-delà des 3000m sur ma gauche et des grandes pentes de neiges immaculées. Avec un léger contrejour d’un ciel partiellement dégagé mais oscillant entre le bleu profond et les rougeurs glaciales de l’aube ; le spectacle est magnifique et je savoure profondément l’instant et du « montagne et lumières » que m’offre la nature.
Arrivé en haut ; je discute 2mn avec un photographe de la course tout en faisant moi-même quelques prises de vue. Le résultat en sera double : de belles photos mais aussi un petit refroidissement car il fait vraiment froid malgré les 3 couches. La torpeur me gagne soudainement et les 20mn (dixit le photographe) jusqu’à la station de téléphérique du Murtel vont durer plutôt le double : 2km d’un chemin descendant puis d’une piste assez facile en léger faux plat montant pour atteindre le ravito situé à 2699. Les quelques flaques d’eau sont gelées sur plusieurs centimètres de profondeur, le sol glisse et je manque de chuter puisque mon attention n’est pas la plus sûre. La fatigue me plombe, je ressens une grande lassitude, des vertiges et un léger mal aigu des montagnes et je perds un peu la notion du temps pour arriver comme un zombi glacé.
Station Murtel : juste un point d’eau, une demi-salle de restaurant ouverte pour l’occasion, 2 ou 3 matelas déjà occupés et quelques concurrents hagards. Pas la peine de penser à enlever les chaussures pour regarder les pieds malgré l’envie car je n’ai rien pour les changer : je ne le sais pas encore mais ils vont macérer encore 19 bonnes heures… Harassé, je mets 5-6 chaises en quinconce et m’allonge entre les dossiers et m’endors en 3 secondes….pour me réveiller dans de biens meilleurs dispositions et en ayant l’impression d’avoir fait un bon somme alors même que je n’ai dormi que 20mn (vertu de la pratique de la micro-sieste). Surprise, dehors, tout est blanc : en 20mn, il est tombé une fine couche de neige à gros flocons recouvrant tout d’un voile immaculé. Le temps d’avaler quelques bricoles et de me rééquiper et la neige a pratiquement cessé de tomber pour laisser place à un ciel bien moins encombré : je ressors ragaillardi pour faire de superbes photos car sous les nuages, la vue est sublime sur 180° et dévoilant les lacs de Silvaplauna et de Segl quelques 1000m plus bas.
Je m’engage sereinement dans la descente technique sur quelques centaines de mètres et rendue un peu glissante par la neige fraiche. Rapidement, j’atteins un sentier qui va descendre progressivement à flanc de montagne sur 9km dans un décor d’abord minéral, puis végétal et enfin à couvert des arbres pour atteindre le village de Sils où nous passerons devant la maison natal de Nietzsche. J’ai retrouvé une bonne foulée et sur ce terrain agréable, j’en profite pour dérouler un peu tout en sentant progressivement les températures repasser au dessus de 0 et remonter légèrement à la faveur du jour et de l’altitude.
Arrivé en bas, c’est un peu comme un « retour à la civilisation » : traversée du village avec un peu de vie et quelques passants qui flânent. Un virage à droite et la route s’élève d’un coup : pas violement mais largement suffisamment pour me forcer à marcher. S’en suit une petite bosse pas bien méchante (montée-descente de 250m sur 3kms de longs) mais dans laquelle je vais peiner un peu. 1 puis 2 puis 3 puis 5 coureurs arrivent ; je m’accroche un peu sur la partie plane pour basculer avec eux mais me laisse décrocher dans la descente en m’offrant un mini-ravito car je sens que je manque un peu d’énergie. Je les rattrape en arrivant au bord du lac dans le hameau d’Isola.
4kms de plat sur une charmante petite piste/route vont nous conduire en bordure du lac jusqu’au ravitaillement de Maloja : un troupeau de chèvres à contresens, quelques marcheurs, un ou deux pécheurs, quelques joggeurs qui nous encouragent : c’est assez agréable de profiter des rayons du soleil qui me réchauffent progressivement. J’en profite pour faire un petit ravito mental à coup de SMS et de photos envoyées. Je trottine même sur la fin pour passer un peu le temps et avancer un peu (on est en course quand même) : foulée rasante et économique reposant plutôt sur les talons.
Vendredi 15 aout 10h37 : Maloja (96+4 km ; 4800 D+ ; 4600m D- / 73ème position en 23h47mn dont 2h30mn de pauses)
Maloja symbolise quasiment la mi-course totale (au point haut suivant pour être pécis) mais aussi la mi-distance entre les 2 bases vies : si j’ai mis 13h pour venir de Samedan en peinant pour franchir de nuit 2 des 5 passages les plus « haut » (2600 ou plus), je me dis benoitement que je vais être plus rapide pour rejoindre Savognin avec un seul passage « haut » et j’envisage même de pouvoir l’atteindre au début de la nuit….
En attendant, je tente une mini-sieste mais le sommeil ne venant pas instantanément, je me relève de suite pour me restaurer correctement et sagement afin de repartir avec le soleil de la fin de matinée. Quelques centaines de mètres pour sortir du village, on traverse la route et nous voici de suite embarqués dans la montée pour la Lunghïnpass (850D+ en 4,5km). Ca démarre assez raide entre vaches et chèvres (plus un bouc qui…sent fort le bouc…) ; je dépasse quelques concurrents et monte d’un bon rythme tout en ayant un peu chaud (le tee-shirt chaud nocturne à manche longue n’est pas l’idéal à l’instant présent) dans un environnement de plus en plus minéral. Le profil avait l’air assez régulier sur le papier mais dans la réalité présente une rupture de pente assez marquée puisque après un dernier raidillon très pentu j’arrive au Lac du Launghïn vers 2400m et que la suite et la fin de cette montée est bien plus progressive et permet de reprendre son souffle. Pas mal de randonneurs en ce début d’après midi, le paysage et les sentiments sont au beau fixe même si de l’autre côté du col je vois poindre des nuages blancs, puis clairs, puis foncés…
Arrivée au col : pointage à l’abri d’une tente tempête alors même que le vent se lève violement. Vite la goretex, les gants et je bascule. Un gros névé à traverser, puis je m’engage dans une longue descente a priori peu technique. Peu technique par temps normal, mais la grêle se joint au vent, puis le vent incline la grêle à l’horizontal, puis le chemin s’oriente au nord soit d’où vient le vent qui remonte cette vallée à pleine vitesse… La descente « facile » pour récupérer se transforme ainsi en une lutte de 5km vent de face, grêle fouettant le visage, paysage totalement bouché et pieds gorgés d’eau. Emmitouflé (sur pantalon, sur gants…), je fais le dos rond, rattrape un concurrent dans une visibilité des plus réduite et laisse au final bien des forces pendant 1h tout en ayant l’impression d’être hors du temps et hors du monde.
Finalement, la météo se calme et passe à la pluie ; en passant en dessous de 2000m, on passe sous les nuages alors même que l’on rejoint une piste qui débouche sur quelques maisons puis se transforme en une petite route traversant un puis deux hameaux. Toujours trempé, je me force à courir cette fin de descente malgré des releveurs qui me titillent et des quadriceps un peu réticents car le village et le ravito de Bivio se profil enfin.
Le ravito est situé dans une coquette salle de restaurant et l’ambiance y est des plus conviviale : je m’installe à une superbe table en bois et prend un peu de temps pour me défaire de mes différentes couches, les rangées dans le sac puisque la pluie a cessée, découvrir une sorte de viande séchée en « batonnet » qui s’avère très agréable que j’agrémente avec des patates chaudes. 2 ou 3 concurrents ont l’air de vouloir flâner un peu ici avec des proches venus les rejoindre.
Je repars sous un ciel qui laisse entrevoir un peu de lumière alors pour une portion du parcours « a priori » pas trop difficile : 2 « petites » montée de 400D+ et 300 D+ et 2 redescentes pour 8kms jusqu’au prochain point d’eau tout en restant tout le temps au-delà des 2000m d’altitude. Le « a priori » se confirme : j’en profite pour regarder derrière moi le paysage que je n’ai pu voir dans la tempête et faire quelques photos.
J’avance sereinement et toujours un peu en solitaire. Je ne l’ai pas souligné mais c’est tout de même une caractéristique majeure de cette course d’avoir globalement très très peu échangé avec d’autres concurrents : d’abord parce que le peloton est étiolé (50 finishers sur les 177 partants au final) et étiré (27h séparant la première du duo clôturant la course), mais aussi du fait de la barrière de la langue (mon allemand est extrêmement sommaire, les francophones très rares et l’anglais n’étant pas toujours commun entre tous). Avis aux amateurs : c’est quelque chose à appréhender pour ne pas y être confronté par surprise : le mur de la solitude en quelque sorte.
J’avance sereinement avec pour seules contrariétés 1) les n-ième et n+1-ième passage de barrière (ou tourniquet ou clôture de bétail qu’il faut décrocher/raccrocher) et 2) un x-ième passage totalement détrempé sur quelques centaines de mètres où il faut vraiment chercher les passages les moins profond et tâter pour trouver des appuis fiables tantôt sur une pseudo motte de terre/boue tantôt sur des herbes hautes couchées dans l’eau. Bref, on perd du temps…
J’arrive finalement, après avoir franchi une dernière et énorme marre de boue de 20m de long, de 4m de large et de 30cm de profondeur au point d’eau situé dans une ferme au niveau du hameau de l’Alp Flix. Une montée de 400m qui semble abordable, un passage en altitude assez « plat » et une longue descente sont la suite du programme de 19km jusqu’à la base vie de Savognin : c’est déjà la fin de l’après midi et j’ai clairement été peu rapide depuis le col de la Lunghïnpass du fait des intempéries et du terrain ; mon idée d’atteindre la base vie au début de la nuit me semble déjà caduque et je voudrais bien passer la première partie « de jour ». Le stop est rapide et je prends juste le temps de remplir un de mes bidons de bouillon très chaud : glissé dans la bretelle du sac avec la goretex par-dessus, cela me fera un petit « chauffage » pendant quelques dizaines de minutes.
Je repars donc par une section d’une centaine de mètres entre 2 barrières de la ferme : c’est un accès pour le bétail qui en temps normal doit être déjà bien labouré et parsemé de bouses ; aujourd’hui, il est en plus imbibé d’eau et martelé par le passage de tous les concurrents passés avant moi. Pas d’alternative possible et donc pas d’hésitations : autant dire que les chaussures perdent définitivement leur couleur d’origine et que l’état des pieds en dessous ne s’arrange pas. Ceci ne dure pas et on attaque vite la montée par une bosse brève mais raide d’une centaine de mètres de D+ avant d’arriver sur un joli replat.
Les lumières chaudes des rayons de la fin d’après midi sont superbes. Poussé par un vent d’altitude assez fort, les ombres des nuages défilent très rapidement sur les herbages et les montagnes autour de moi comme dans un film en accéléré. Au milieu, des pans de ciel d’un bleu éclatant renforcent les contrastes des sommets environnants : le spectacle est superbe pour les yeux. Pour les pieds, le spectacle l’est beaucoup moins car il faut franchir un ruisseau qui a totalement débordé de son lit sans véritable passage à gué et juste quelques blocs de pierres branlantes en guise d’appui : les chaussures retrouvent des couleurs vives mais se remplissent d’eau. Après le replat, la pente remontent progressivement et le cheminement est « assez » facile ; je double un concurrent qui semble un peu « en panne » et avale quelques victuailles, on échange quelques mots en anglais-français mais il me semble bien entamé le pauvre (je ne le reverrai pas). Un berger, ses chiens et son troupeau traversent l’alpage à quelques encablures ; les mouvements des bêtes, petites taches blanches sur fond vert, dessinent des arabesques comme une calligraphie imaginaire. Plus haut, je vois un groupe de 4-5 concurrents qui atteignent le sommet.
A mon tour, j’atteins le sommet….qui n’en est pas un. A 2350m, la trace continue à monter pour « passer » ensuite à l’horizontal en contournant la montagne à flanc. L’altitude varie peu mais le cheminement se fait technique puis très technique en se faufilant entre cailloux et rochers ; descendant 3m avant d’en grimper 5m puis redescendre 10m et remonter ainsi de suite 1 fois, 2 fois, plein de fois… Les nuages sont descendus en altitude pendant que je suis monté et bientôt je me retrouve à l’intérieur. Il fait de plus en plus frais, l’environnement devient cotonneux et la visibilité se réduit : c’est moyennement agréable. Ma vitesse chute puisque je suis incapable de courir (je me demande même si la tête de course a couru ici), le temps s’allonge, j’ai de plus en plus froid, je suis forcé de prendre des appuis de travers sur ma cheville : de moyennement agréable, l’ambiance vire au désagréable. Pas âme qui vive en vue, la visibilité baisse encore, il faut mettre les mains pour franchir certains blocs, l’humidité ambiante au sein du nuage m’engourdit : le désagréable devient presque angoissant. La luminosité baisse et une chape de brouillard m’enveloppe totalement, la détection des balises devient délicate et il me faut chercher les traces du sentier presque pas à pas : l’angoissant me semble fantasmagorique comme dans les contes de légendes médiévales. La progression est très lente, l’altitude toujours entre 2350 et 2400m, la frontale est quasi inopérante dans ce brouillard qui ne laisse pas plus que quelques mètres de visibilité : le fantasmagorique commence à m’inquiéter et je suis pleinement conscient de la dangerosité de ma situation à cet instant. Je prends la frontale à la main pour la tenir à bout de bras au plus proche du sol en position « antibrouillard », je perds un peu la notion du temps défile et j’oublie de m’alimenter puisque la dangerosité me fait presque « peur ». Repoussant de sombres états d’âmes je me concentre sur chaque pas, sur chaque geste, sur chaque trace au sol, sur chaque reflet de balise que je distingue une à une… L’altimètre commence enfin à baisser doucement mais mètre après mètre pour se stabiliser un peu sur un terrain moins minéral quand apparaît un petit cours d’eau de 2-3 mètres de large. J’hésite un peu et tâtonne sur l’endroit où le franchir quand apparaît une frontale derrière moi. C’est une féminine que j’ai aperçue au ravito de Maloja : Olga. Nos regards se croisent à peine et sans concertation nous repartons de concert sans un mot, à la fois silencieux et profondément concentrés, presque graves. Olga est bien plus petite que moi et ne peux aussi facilement que moi enjamber les flaques et les trous du terrain semi-bourbier semi herbeux dans lequel nous progressons.
Nous débouchons sur un point de contrôle vers les 2200m (immense respect aux bénévoles de se tenir là dans la nuit et le froid sous une frêle toile de tente) : validation des dossards, échange de quelques mots puisque je sollicite pour savoir si c’est le ravito. Mais non, ils n’ont que de l’eau et nous annoncent le début de la descente avec le ravito du Val d’Err à environ 20mn. Encore marqué mentalement par le passage précédent, je préfère repartir de suite en compagnie d’Olga alors qu’il fait nuit noir dorénavant. Nous cheminons l’un derrière l’autre ; elle devant et sa frontale éclaire le sol en proximité, moi derrière me laissant un peu guidé tout en éclairant au loin pour happer les reflets des balises réfléchissantes. La pente s’accentue enfin et passant dans une trouée des nuages, nous décelons enfin une lumière dans la nuit : nous dégringolons des sentes détrempées pour arriver enfin au ravito situé sur un replat à côté de ce qu’il me semble être une bergerie. Juste un banc, une tente, un ravito liquide et quelques victuailles : je prends le temps de m’assoir, de boire, de partager quelques cacahouètes avec Olga qui n’en demandait pas tant mais apprécie. En guise de précaution, je change la batterie de ma frontale puisqu’elle a déjà fait toute la nuit précédente et que je ne voudrais pas qu’elle me lâche maintenant.
Olga repars mais je la laisse pour me faire expliquer par les bénévoles le profil de la descente : un champ à traverser, une piste 4x4 à attraper ensuite ; encore 11km jusqu’à la base vie. Le moral en a pris un coup, le physique est atteint, la fatigue de plus de 34h me tombe dessus, ma cheville m’accapare l’esprit et je ne suis pas bien capable de faire la différence entre « mal » et « souvenir du mal » : bref, ce n’est pas le meilleur moment et les idées noires ainsi que la lancinante tentation de l’abandon s’insinuent sournoisement en moi. Je repars en marchant et dès que j’ai atteint la piste, je sors le téléphone. Bref échange avec Hélène qui me permettra de remettre les idées en place : elle m’annonce que seuls 14 concurrents sont repartis de la base vie ; je ne sais pas si c’est rassurant mais confirme que c’est forcément dur pour tout le monde ; je lui fais un point sans concession de mon état et lui dis que je rejoins la base vie pour 1) me reposer et 2) aviser ensuite car il hors de question de prendre une quelconque décision dans mon état et là où je me situe. J’appelle Jean-Phi pour échanger quelques mots dans une communication très mauvaise mais comprendre toutefois qu’il me relaie plein d’encouragements.
Pendant ce temps, je franchis un pont et la piste se faisant plus roulante je fais l’effort de trottiner un peu pour dérouiller les jambes qui ne font que marcher depuis des heures. La piste est jonchée de flaques d’eau et une violente averse assez forte me tombe dessus alors que je rattrape Olga. Nous cheminons de nouveau de concert en échangeant peu de mot (son anglais étant aussi balbutiant que mon allemand ; je découvrirai plus tard qu’elle est tchèque). La pluie, le brouillard, la visibilité, la piste « confort » qui nous fait relâcher l’attention : on descend. On descend, on descend mais nous ne faisons pas suffisamment attention au balisage car nous n’en voyons plus. Hésitation, arrêt, concertation, repartir, re-stopper, sortir les cartes du sac pour se repérer à la frontale sous la pluie, fatigue : notre décision est bien évidemment la mauvaise. On stoppe de nouveau au niveau d’un petit pont et d’un carrefour pour ressortir la carte et enfin se repérer correctement : bilan 2kms de pistes en trop, 200D- à remonter et pas mal de temps de perdu. On repart à rebours en remontant la piste en se demandant encore où nous avons loupé pu l’embranchement. Alors que la pluie cesse, un 4x4 descendant la piste s’arrête à notre hauteur : c’est un des contrôleurs du dernier CheckPoint qui s’étonne de nous voir là. S’en suit un bref échange en allemand avec Olga à l’issue duquel il nous dis de ne pas tout remonter et de prendre un autre chemin pour nous remettre sur la trace. Un peu étonnés de sa décision et suspicieux du respect de l’équité, nous finissons par acquiescer et suivons ses indications. (Au final et après analyse a posteriori ; je pense que l’on a fait plus de distance, troqué un peu de chemins pour de la piste mais surtout perdu au bas mot 15mn dans l’histoire).
Assez vite, nous voyons 3 frontales qui nous rassurent et nous nous retrouvons à former un petit groupe pour achever la descente qui se fait sur une petite route bitumée. A une intersection, du fait d’une nouvelle hésitation notre groupe se sépare en deux : Olga devant avec un collègue de la « grande » course ; moi restant avec Riccardo (un suisse) et Marc (un allemand) qui sont sur la T141 (qui, comme son nom l’indique fait 145,8km). Ils se sont rencontrés sur la course la nuit précédente et ont décidé de cheminer ensemble jusqu’à la base vie où ils ont prévu d’abandonner. J’essaye de le raisonner un peu et nous passons le temps à parler de la course, de nos bobos et sensations… Je les interroge sur une question que je me pose depuis des dizaines d’heures ; à savoir ce qu’est « MIGROS » qui est le nom du sponsor qui figure sur tous les panneaux indicateurs (km, changement de direction) balisant la trace. Question totalement inutile j’en conviens aisément mais qui me taraude et dont je voudrais juste connaître la réponse afin de pouvoir l’évacuer de mon esprit.
Nous arrivons enfin en bas au village de Tinizong : mes camarades hésitant à une bifurcation, ils appellent l’orga pour trouver le chemin de la base car ils se croient à Savognin. Je suis assez étonné de leur comportement et alors même que je sors les cartes, ils devisent avec l’orga qui leur propose de venir nous chercher. Réponse normale d’une orga qui pense avoir à faire face à des concurrents en difficulté : je leur dis de surtout décliner car ce serait synonyme d’abandon et qu’il sera bien temps d’abandonner à la base vie une fois arrivé là bas. Tant pour vouloir rester en groupe que par fatigue, je décide de marcher avec eux les 4kms relativement plats et facile jusqu’à la base vie que nous finirons par atteindre un peu laborieusement vers 00h50. J’aurais mis prêt de 3h pour faire les 11 derniers km en descente et plat : bien que je n’attache aucune importance à mon « chrono », c’est d’évidence une section sur laquelle j’ai été particulièrement peu efficace voire mauvais pour ne pas dire catastrophique.
Peu de lucidité à cet instant mais j’ai eu le temps de penser à l’enchainement des taches à accomplir sur les derniers hectomètres. Sans réfléchir, je me mets donc à répéter la « TODO List ». D’abord trouvé le point médical pour regarder ma cheville : échange avec un secouriste germaniste qui m’aide à enlever chaussure et chaussette afin d’arborer un œdème sur la cheville et me permet d’évaluer les dégâts : bof bof. Premier échange avec le responsable du poste de contrôle (si j’ai bien compris son rôle) qui me demande si je veux abandonner comme le suggère le secouriste : je lui dis juste que ce n’est pas le moment de décider et que nous en reparlerons plus tard. Je vais récupérer mon sac, avaler un tube entier de lait concentré sucré, prendre une longue douche bien chaude avant de revenir me faire soigner (une crème rafraichissante sans doute un peu anti-inflammatoire plus un bandage serré), rediscuter avec le secouriste puis aller m’étendre sur un matelas avec une bonne couverture. Je me réveille au bout de trois grosses heures de sommeil : je prends le temps d’émerger lentement, de me lever et d’atteindre la grande salle. Mes idées ne sont pas très claires, je traine un moment dans la salle, prend un café, discute avec Riccardo qui est toujours là et me demande si je suis bien le gars avec qui il est arrivé et qui avait mal au genou plus tôt. Je rediscute avec le secouriste puis le chef de poste qui ne me trouvent pas en forme ; je traine encore. Insidieusement l’idée d’en rester là se fait en moi, je me renseigne sur les modes de transport pour rentrer : 1 bus jusqu’à Tiefencastel où il faut en attendre un 2ème durant 1h pour rejoindre Davos. Je ne pense même pas à manger et me met à ranger mes affaires. Puisque je ne suis absolument pas là pour obérer ma santé mais pour prendre du plaisir au voyage et que la suite s’apparente à une galère, je trouve plus raisonnable de me préserver. Un peu dépité mais toutefois contrarié eu égard à la somme des efforts cumulés depuis des mois en perspective de cette course, je sors de la base vie en direction de l’arrêt de bus……
A peine ais-je fais 5m dehors qu’un déclic s’opère : sur ces 5m, je n’ai absolument pas ressenti ma cheville ; sur ces 5m, j’ai ressenti une bonne tonicité dans mes muscles ; sur ces 5m, j’ai senti la douceur de l’aube naissante ; en l’espace de quelques secondes, l’esprit s’est réveillé et l’évidence m’apparait : c’est jouable de continuer, c’est non seulement jouable mais le temps de faire demi tour et c’est une certitude absolue : je vais terminer. Il est 5h40 du matin : je dis au chef de poste que j’y retourne : il me regarde avec de grands yeux ébahis et me demande confirmation : ma réponse est pleine de certitude. Un regard le convainc et, alors même que le serre-fil est en train de partir à l’heure de la barrière horaire, il me dit de me dépêcher.
Dépaquetage de mon sac de base vie dans lequel j’avais tout mis en bazard, choix de la tenue, un puis deux cafés avalés, reformatage de mon sac de course, changement de batterie de la balise GPS, derniers échanges avec les bénévoles et je repars avec un sentiment de sérénité absolu…
C’est parti pour une « extra-ball »…
Samedi 16 aout 6h19 : Savognin (137+4 km ; 6800 D+ ; 7200m D- / 78ème position en 42h29mn dont 8h05mn de pauses)
Je sors et entend le bip du pointage : à cet instant je suis dernier de(s) la(es) course(s). Dans ma précipitation, je m’aperçois que je n’ai pas donné de nouvelle : un 1er SMS pour dire « Après gros dodo : je repars en dernier » ; un 2nd pour dire « ….. pour ne rien regretter ». Je sors du village et me dis que je n’ai qu’à voir si je peux trottiner. Un pas, deux pas, 100m de faux plat descendant : ca va. Un chemin au bord de la rivière, 500m, 1 km et tout plat : ca va encore. Léger faux plat montant : ca va toujours ; je continue. Me voilà déjà à Riom, 2kms avalés et j’ai rattrapé le serre-fil parti 20mn avant moi avec un concurrent (Dimitri) qui est déjà obligé de faire une pause ; je ne suis plus dernier. Puis bientôt plus avant-dernier, puis, puis, puis… Cette portion du parcours est relativement roulante et ca roule effectivement bien : je me sens aiguisé comme une lame de couteau, et léger comme une plume. Je retrouve la sensation du juste geste de la course, je suis capable de ressentir la moindre inclinaison de pente, j’arrive à doser parfaitement le moindre changement d’appui, je savoure la moindre variation de température : je suis en osmose complète avec moi-même dans un espace-temps qui me semble parfait. Cette sensation dure, dure, dure : je ne ressens plus le poids du temps qui passe, je perds presque la notion du temps comme si celui-ci n’avait plus aucune importance.
Salouf, Del : les hameaux défilent et ma feuille de route m’indique que je suis sur ces portions bien plus vite que sur mon timing le plus optimiste : dans un recoin de mon esprit, je me dis qu’il faut ralentir. Mais ralentir n’a comme conséquence que de me faire dévier de la plénitude de l’instant et de me faire perdre le geste qui me semble parfait auquel je reviens aussitôt par pur plaisir. Je double de loin en loin des concurrents, le soleil pointe au dessus des brumes de fond de vallée, ma progression est fluide et régulière : je passe en manches courtes, profite de chaque instant et m’émerveille devant chaque recoin du paysage. A la sortie d’un petit sous-bois, je vois une énorme montagne sur ma droite : Lenzer Horn qui apparait au nord, immense pyramide de 5kms de base et 2kms de hauteur.
Une légère descente sur une jolie petite route me mène au village de Mon que je traverse en même temps que le facteur qui fait sa tournée du matin. Quelques centaines de mètres de pistes puis le balisage oblique à 90° degrés à droite dans une pente à 45° qui file en sous-bois. Terre, épines, racines, dévers : à peine une infime appréhension pour ma cheville et je m’engage en posant délicatement chaque appui sans torsion. La descente est raide et glissante mais se déroule parfaitement sans douleurs. La vallée approche à grande vitesse et je débouche sur une route pour traverser via un superbe pont l’Albula qui coule au fond. Je suis à Tiefencastel atteint en 1h35 pour faire les 11kms : le bonheur.
Alt 851 : c’est le point le plus bas de la course. Petit ravito dans un restaurant sympa (le seul où la seule langue parlée est l’allemand mais on se comprend vite) : je fais une pause flash de 2mn et repars illico pour m’attaquer avec sérénité et humilité au dernier gros morceau (env 7h de montée entrecoupé de faux plat et de quelques pauvres descentes pour 26km et env. 2000D+). Il est 8h11et tout les voyants sont au vert. Quelques hectomètres sur une petite route surplombant la rivière et la ligne de chemin de fer où s’aventure un train rouge qui dessine des arabesques du même ton. Un petit passage en sous-bois m’amène au petit hameau de Mistail constitué d’un superbe chalet magnifiquement décorée, d’une petite ferme et d’une église lumineuse dans les rayons du matin : l’occasion de faire quelques clichés avant de repartir par une piste forestière en faux plat montant très progressif. S’en suit une petite route où la pente est plus marquée. Je fais naturellement l’effort de continuer à courir et, bien que ce ne soit forcément raisonnable à ce stade de la course, après un instant de réflexion je me dis que ce sera toujours un peu de temps de gagné : c’est sans doute après 47h de course, le premier instant où j’ai pensé en termes de performance.
On coupe une grosse route pour enfin partir à main droite sur le flanc du massif. J’aperçois à quelques encablures un duo de concurrents que j’avais vu quitter Tiefencastel un peu avant que je n’arrive au ravito. Les voyant passer à côté d’un arbre, je regarde ma montre et prends un point de repère pour calculer un écart de temps au moment où j’y passerai moi-même. Le chemin monte et traverse le hameau d’Alvaschein surplombant le fond de vallée avec son église grise et décorée. A la sortie du village, on emprunte une piste en faux plat et je me vois réduire l’écart avec le duo devant moi. Soudainement, au détour d’un virage et d’un bombement du terrain, je tombe sur un autre concurrent dont le rythme est terriblement lent : il s’agit d’une féminine qui s’avère être en détresse. Je m’arrête quelques instants pour marcher auprès d’elle : son visage est très marqué, un filet de sang séché écoulé du nez lui gâche le sourire qu’elle me fait et je ressens l’immense besoin qu’elle a de parler à cet instant: quelques mots d’allemand d’anglais et de français, la chaleur de l’échange, le mini soutien psychologique font que je reste un petit moment auprès d’elle. Après un « bonne chance », je me remet à trottiner en me disant que ce doit être psychologiquement difficile pour elle de voir partir quelqu’un en foulée « presque » légère à cet instant ; (Malheureusement, en consultant a posteriori les classements, je me rendrai compte que Barbara ne passera pas au pointera suivant de Lenzerheide et que je lui aurai repris plus de 2h en moins de 3h de temps). Une minute après, je tombe sur mon duo qui s’avère être Maya et Yusuke le couple japonais qui dormait au même hôtel que moi. On progresse un peu ensemble : je les dépasse en continuant à courir sur le faux plat montant, ils me rattrapent à la faveur d’une pause technique suite à la mini descente qui marque une cassure dans le profil.
Après ces quelques heures plutôt vallonnées, c’est ici que la rupture de pente et de rythme va s’opérer avec un bon 600m à suivre scindé en plusieurs portions : j’avale une patte d’amande et un peu d’eau, redéploye mes bâtons dont je n’ai pas eu besoin depuis la veille au soir et attaque avec envie la montée par un sentier bien raide qui serpente au milieu des herbes hautes. Les jambes sont là, le soleil est là, la tête est bien là : je profite du moment. Je regarde de loin en loin ma montre pour voir d’un œil le chrono et de l’autre l’altimètre ; une petite règle de trois m’indique que je monte à environ 650m/h : à ce rythme là, je ne tarde pas à déboucher en dessous du petit hameau de Zorten qui se traverse rapidement par une montée le long de quelques maisons, une petite route à traverser puis une fontaine à contourner. A peine sortie de Zorten, je vois le village de Lain à quelques encablures et 100m plus haut. Entre les deux, j’aperçois un autre concurrent et calcule là encore un écart. En me retournant, je devine Maya et Yusuke qui aborde le village de Zorten et me renseigne sur l’écart déjà significatif que j’ai pu creuser avec eux en peu de temps. Un coup d’œil sur mes tableaux de marche me confirme que je suis relativement rapide.
Calculs d’intermédiaires et de différentiels de vitesse avec les autres, calculs de vitesse verticale moyenne, repérage sur mes tableaux de marche ; les chiffres s’emboitent, s’additionnent, se soustraient et se succèdent : je fais une petite apnée de calcul mental…et m’amuse d’un radar routier situé quelques mètres en deçà du village de Lain et qui m’indique 8km/h (pas mal à pied sur un route montante). Je traverse le village et rattrape mon concurrent qui progressait deux fois moins vite que moi.
Je m’engage sur une piste forestière où je rattrape bientôt un couple d’autochtone et leur troupeau qui me barre le passage ; j’essaye de trouver un cadrage original pour faire une prise de vue mais la position en arrière n’est pas la plus pertinente. Alors même que j’allais les doubler, je le délaisse pour prendre à main droite un chemin à flanc de coteau sous le couvert de la forêt. S’en suit une portion assez longue qui ondule en montant progressivement au couvert des arbres : je l’aborde en petites foulées agréables, double de nouveau un duo de concurrents et profite du moment où se dévoile de nouveau bien plus proche la formidable montagne du Lenzer Horn que nous abordons par le flanc ouest. Un léger replat puis une petite route nous permettent d’atteindre le hameau de Sporz. Maisons parfaitement préservées, voitures et quelques passants des plus chics, devantures de restaurant plutôt avenantes, fontaine et abords très bien entretenus, … Sporz semble respirer la vie aisée sous la douceur et la lumière de ce samedi matin.
La station de Lenzerheide n’est plus située qu’à quelques 2 ou 3 km ; un champ totalement détrempé où je tente de ne pas trop me tremper les pieds, une micro montée et une longue portion descendante d’abord sur piste puis ensuite sur bitume sont assez vite passées. Aux abords de la station, je rattrape Olga que j’avais entraperçue en pleine nuit à Savognin : elle semble dans le dur et je ne suis même pas certain qu’elle me reconnaisse malgré un échange de sourire. J’arrive vite au ravito et je croise Riccardo et Marc qui en repartent au moment où je l’atteins. Ma tenue « manche courte » semble étonné les bénévoles (on est à 1500m) mais je sens tellement bien que je ne ressens pas la nécessité de d’avantage me couvrir. J’avale très rapidement 2-3 bricoles et repars en moins de 2mn. Je sais que j’ai fait un grand pas en franchissant les 25km et 1800mD+ en un peu moins de 5h depuis Savognin.
Samedi 16 aout 10h58 : Lenzerheide (163+4 km ; 8600 D+ ; 8700m D- / 56ème position en 47h08mn dont 8h15mn de pauses)
A peine quelques centaines de mètres de courus que j’ai rattrapé Riccardo et Marc : nous devisons un peu ensemble jusqu’à la sortie de la station en échangeant sur nos sensations et états respectifs ; Marc semble souffrir du genou et dès que la pente s’élève à la sortie de la station, je les perds de vue (Ils arriveront à finir). La route serpente un peu entre des esses franchement pentus puis la trace part en forêt alors qu’un crachin s’invite. Le profil indique un bon 450D+ en un peu plus de 2km : le tout se fait à l’abri des conifères et seules de nombreuses racines gênent un peu la progression. La mienne est de nouveau idyllique : foulée, pieds, sensation, équilibre : tout est là et cette portion est littéralement avalée alors même que je croise de nombreux randonneurs…Arrivé un peu en deçà de 1900m, les balises nous orientent à gauche à l’horizontal via un sentier en balcon parfaitement courable où, là encore, je prends un malin plaisir à dérouler avec cette sensation d’être parfaitement capable de relancer après chaque petite difficulté. Finalement, je sors des bois, grimpe une petite pente et finis par atteindre station Scharmoin où je voie des VTTistes sortir des télécabines.
Un peu l’impression de rejoindre la civilisation : quelques encablures plus bas s’étale quelques villages, de nombreux panneaux indiquent des chemins de randonnée ou des pistes de VTT, il y a beaucoup de marcheurs…
J’arrive assez vite à une fontaine située devant un petit restaurant/refuge. La température ayant fraichie et des nuages de plus en plus denses voilant le soleil, je sors la micropolaire, la suite s’annonçant pentue, j’avale une patte d’amande et m’engage avec délectation dans une formidable partie de pacman. La trace passe en effet par des pistes de ski qui ne font pas partie des sentiers les plus bucoliques, les nuages ne sont plus au dessus mais c’est nous qui sommes dedans, la montée est raide : je me met dans un rythme mécanique et plutôt rapide. Quand la pente est des plus raide, je me surprend à découvrir différentes façons de planter et utiliser les bâtons qui sollicitent des groupes musculaires distincts (biceps, triceps, deltoïdes). En alternant successivement les unes et l’autre, je double sans cesse des compétiteurs du T201, du T141 mais aussi l’arrière peloton du T81 qui est parti de Lenzerheide. Autant les paysages ne sont pas les plus beaux de tous (tout est relatif toutefois), autant je me sens fort et je grimpe d’un bon 650m/h alors même qu’il me semble que j’en garde un peu sous la semelle.
A ce rythme là, et en évitant quelques VTTistes maitrisant de manière assez aléatoires leurs montures alors même qu’ils dévalent la piste que nous grimpons, j’arrive au sommet à Urdenfürggli à 2546m d’altitude. Je bascule non pas dans une descente mais sur un haut plateau où la température est aussi fraiche que le paysage sauvage et minéral : fantasmagorie des nuages défilant à toute vitesse, un petit lac en contrebas, aucun signe de vie si ce n’est un câble de téléphérique. En suivant celui-ci des yeux j’aperçois la Hörnlihutte un peu plus loin alors qu’une averse de neige tombe. Etonnamment, je me sens parfaitement étanche et ne ressent pas le besoin de sortir la goretex : au contraire, je ressens chaque flocon me fouettant le visage en étant capable de préciser à quel endroit exact du visage il m’a frappé…
Hörnlihutte est juste la gare d’arrivée d’un télécabine où un poste de ravito est sommairement posté à l’intérieur mais ouvert à tout vent. Deux bénévoles très gentilles me préparent une soupe/bouillon qui me réchauffe parfaitement alors que je vois des touristes emmitouflés dans des doudounes s’engouffrer dans les cabines descendantes. Repartir et descendre, il va falloir y songer aussi. Même si je ne me suis resté à couvert que 3-4 mn, la météo a un peu changée, un peu du fait que la neige quasi cessée de tomber mais surtout par le fait que nous sommes passés sur un autre versant. Quelques encablures d’une piste de liaison à descendre et le balisage nous aiguille vers la gauche à travers pâturages pour rejoindre une montée assez rude à flanc de montagne en dévers. Un troupeau de vache est paisiblement installé bien que nous soyons à relativement haute altitude gambade ; l’une d’entre elle s’égaye dans la nature et le gardien du troupeau se met à courir de bloc en bloc sur des grosses botes en caoutchouc à une allure édifiante. Je ne puis retenir un sourire en me disant que son travail est un formidable entrainement au trail (même si il est fort probable qu’il ne passe pas ses loisirs à le pratiquer). Je double encore de-ci de-là 3 concurrents qui sont scotchés dans la pente et continue de monter pour me retrouver dans les nuages et une sorte de brouillard. Je tombe nez à nez avec un chamois mais je n’ai pas le temps de dégainer mon appareil photo qu’il s’est déjà échappé.
Le brouillard/nuage s’épaissit et la visibilité devient de plus en plus réduite : j’en suis contraint à ressortir la veste et à piocher un peu pour monter : cela fait plus de 8h que mes sensations étaient sensationnelles et je sens que cela va faiblir. En conséquence je décide de ralentir franchement pour achever la montée au Weisshorn ; je rattrape néanmoins doucement 2 nouveaux concurrents de plus. Arrivé en haut, rien à voir si ce n’est le coton des nuages sur un panorama à 360° (il faudra revenir pour le voir), un bâtiment tout blanc, un semblant de table d’orientation… J’hésite un peu sur la suite, trouve enfin une balise de l’autre côté et entame immédiatement la descente dans le vent qui souffle assez fort. Le début de la descente est taillé dans la montagne et forme l’hiver venu une piste de ski ; aujourd’hui, c’est un champ de caillasses assez raide et pas des plus agréable pour les pieds et les cuisses qui commencent à se signaler comme douloureuses. Après avoir perdu quelques centaines de mètres d’altitude, je sors des nuages et découvre un nouveau et vaste panorama : devant moi, les hauteurs vertes de la station de ski d’Arosa qui est 1000m plus bas au milieu desquelles pointent ça et là les pylônes et autres installations de l’industrie de l’or blanc ; plus haut, plus loin et en face, de hautes parois minérales surplombant différents étages de plateaux.
La descente est épouvante et je ressens une petite baisse de régime : c’est le moment de faire le point tout en continuant à dérouler correctement la foulée. Un checkup mental pour vérifier les fonctions vitales et se poser la question de l’état de chaque muscle, tendons ; une patte d’amande pour faire le plein de sucre, le soleil qui perce par endroit pour la vitamine D, la veste repliée dans le sac pour retrouver de meilleures libertés de mouvements. Vers 2000m, j’arrive à la Tschuggenhütte où convergent de nombreux sentiers et pistes : j’y croise randonneurs et marcheurs en famille ou en couple : cela fait un peu d’animations après ces longues heures passées dans ma bulle. Le temps d’une pause pour faire quelques photos et les derniers concurrents que j’avais dépassés juste avant le sommet me rattrapent : on échange quelques mots en trottinant de concert avant d’atteindre le haut de la station d’Arosa. Alors qu’ils ralentissent un peu leur rythme et que j’atteins le bitume, je me retrouve seul et me rend compte du gros morceau que je viens de passer depuis la base-vie. Je sais que j’ai bien avancé par rapport à mes planning de référence, je sais que j’ai fait toutes les grosses difficultés, je sais que j’ai déjà parcouru 90% du total et pour la première fois, je me dis que non seulement c’est jouable mais que je vais arriver à boucler ce SIT201 : en réalisant tout cela, une vague d’émotion monte en moi et je dois me faire violence pour la repousser car rien n’est fini. Je suis maintenant dans la station, je slalome parmi les touristes sur les trottoirs qui se prélassent devant les vitrines et sous le soleil de l’après midi, longe un petit lac et rentre dans le ravitaillement situé dans un abri antiatomique.
Samedi 16 aout 16h12 : Arosa (183+4 km ; 10100 D+ ; 10300m D- / 41ème position en 52h22mn dont 8h30mn de pauses)
10h d’une traite depuis Savognin, les dernières sensations moins pures, l’envie de bien finir et d’en garder pour la toute fin : tout cela m’indique qu’il faut faire un petit break pour reposer un peu le corps et relâcher un peu le rythme. 2 ou 3 bols de soupes, des pleines poignées de fromage et jambon, une analyse assez fine du 10ème et dernier semi-marathon à faire sur les cartes à grande échelle affichées au mur, une petite toilette et c’est un bon ¼h de passé. Cependant, je vois autour de moi que je ne suis pas le seul à en avoir besoin car les visages sont marqués pour tous et certains prennent même le temps de dormir ou de prendre une douche.
Pas la peine de s’éterniser non plus, il reste moins de 5h de jour et je me dis que je n’ai vraiment pas envie de rallumer la frontale pour une troisième nuit. Je repars donc avec l’idée de me préserver un peu pour le tout dernier col que l’on m’annonce bien raide. Quelques hectomètres de bitumes dans le bas de la station, quelques volées de marches et on rentre vite dans la forêt qui descend en surplombant un lac. L’eau est d’un bleu laiteux et les sommets vertigineux de l’arrière plan sont superbes et l’occasion d’une photo que j’ai oubliée de faire. On contourne les bords du lac pour traverser sur le dessus du barrage qui le retient avant d’attaquer une pente régulière en sous-bois puis sur des alpages. Je gère cette portion en me forçant à une certaine retenue, me fait dépasser par les 2 mêmes que quelques heures plus tôt et trouve même le temps un peu long avant d’atteindre les maisons de Tieja. Un coup d’œil sur la montre me confirme que j’ai bien ralenti : pas grave, je n’ai pas l’intention de la gagner cette course. Sur un panneau de chemin de randonnée, je vois pour la première fois le nom de Davos indiqué avec un temps de 3h30 indiqué : un signe de plus que je m’approche de la fin du voyage et un vague sentiment de regret et de « déjà fini » me traverse l’esprit.
A flanc de la montagne, la piste ondule ensuite au gré du relief sur une piste tantôt en replat pour se rapprocher des creux provoquées par l’érosion des ruisseaux successifs, tantôt en faux plat montant pour monter les micro-bosses : une fois, deux fois, dix fois,…à en perdre le compte et en ayant l’impression de ne pas s’approcher du hameau de Medergen qu’on aperçoit plus loin. Les lumières commencent à s’échauffer avec la fin de journée qui approche et je profite du terrain facile pour admirer le panorama. J’atteints Medergen qui se révélera être un ensemble sublime de chalets en bois très bien entretenu. Une montée un peu sèche pour en sortir et la progression reprend avant d’obliquer vers la droite (le sud) et d’atteindre un petit replat qui dévoile la dernière vallée à remonter et le dernier col à franchir. Je continue à doubler de loin en loin quelques concurrents des diverses courses. Avant cela, il s’agit de redescendre franchement par un pâturage bien labouré, de franchir un gué puis plus loin une rivière et d’atteindre le dernier ravito petit ravito situé au lieu dis de Jatz. Dernier arrêt et l’envie de le partager avec les deux bénévoles : je test les bâtonnets de viande séchée (j’aurais dû avant), je discute 2mn, avale un demi litre de coca et ajuste mes réserves au plus juste puis me lance pour le dernière troncon (2 km pour monter 550m puis 6 km pour en descendre 800)
La passion a pris l’emprise sur la passion ; le jeu sur la gestion ; l’envie de vitesse sur le contrôle de la progression : c’est avec vitalité et énergie que je décolle du ravito. Quelques centaines de mèters devant moi, un concurrent qui est parti du ravito alors que j’y arrivais ; plus haut les 2 qui m’ont doublé dans la journée ; les lumières de la fin de journée qui s’estompent ; un temps de 57mn d’après mon temps de passage le plus rapide : ce sont autant de mini-défi qui me titillent. Une première montée sur une piste roulante mais assez raide ; une deuxième portion en fond de vallée remontant plus abordable ; une paroi à grimper enfin qui semble de plus en plus raide pour la phase terminale : le programme est visible dans sa totalité dès le début et je vais m’en délecter pas à pas. Une première montée pour rattraper les premiers concurrents en forçant sur les bâtons ; une deuxième portion pour gérer le rythme et s’alimenter juste avant la suite ; une paroi grimpée à fond entre pierriers et lacets très serrés. Au final, 48mn de plaisir avalés à 650m/h et la délivrance de basculer au col de Strelapass où le vent et la fraicheur du soir me saisissent.
Je prends juste le temps de ranger les bâtons, de pointer au point de contrôle, d’envoyer un dernier SMS et je m’engage dans la descente en trottinant puis en courant avec le maximum de souplesse que m’autorises me jambes qui sont bien dures. Je découvre peu à peu le panorama : à hauteur des yeux les montagnes du début de la course plus de 2 jours auparavant ; en bas dans la vallée Davos où trône l’énorme centre de congrès. Je rattrape un concurrent qui descend en marche arrière du fait de releveurs plus que douloureux au moment même où la pente s’accentue. Encore quelques passages un peu glissants et légèrement techniques puis j’arrive enfin sur les hauteurs des pistes où nous allons emprunter des pistes et des petites routes : je surveille du coin de l’œil l’altimètre qui ne descend pas très très vite. Enfin, un chalet puis deux, un tire-fesse ancestral qui me fait dire que l’on ne doit plus être trop loin du bas et un chemin qui rentre dans la forêt. Les quadriceps des cuisses sont durs comme du béton, les mollets à peine dans un meilleur état, les genoux me font souffrir, la cheville plutôt mieux que le reste et je me résigne à marcher alors que l’envie d’en finir est bien présente. Mais la marche étant à peine moins douloureuse, je me remets à courir sur les grands lacets de ce chemin. Les quelques passages un chouïa trop raides et les épingles à cheveux sont synonyme de souffrances mais j’arrive à quand même bien avancer : en guise de récompense, je rattrape de nouveaux des concurrents dont les 2 qui m’avait doublés (personne ne m’aura doublé in fine entre l’espace de 14h). Enfin c’est le son du speaker et de la sono qui montent jusqu’à moi puis la sortie de la forêt et les rues que je dévale pour déboucher sur la Promenade.
Reste 100m, puis 50m, puis 10m, puis un virage, puis l’arche : le moment est de pure émotion : cocktail de joies, de souvenirs, de pleurs, d’images accélérés et de références à tous ceux qui m’ont permis d’être là : je suis submergé….
Samedi 16 aout 20h37 : Davos (202+4 km ; 11000 D+ ; 11000m D- / 40ème position en 56h47mn dont 8h35mn de pauses)
Ne reste plus qu’à redescendre sur terre et c’est un long cheminement qui s’achève en même temps que la rédaction de ce récit...
* : a noter que je n’ai absolument pas suivi le classement en temps réel et que mes temps et position ne sont ici rajoutés qu’a posteriori
Mini-bilan
CR Swiss Iron Trail T201 : Version Photographique par TomTrailRunner
Par TomTrailRunner - 19-10-2014 15:45:13 - 12 commentaires
PK 34 : Bergün
PK 43 : Crap Alv
PK 45 : Au dessus de Samedan vu depuis Crap Alv
PK 80+4 : Fuorcla Surlej
PK 85+4 : Alp La Motta
PK 92+4 : Isola
PK 97+4 : En Montant au dessus de Maloja
PK 150+4 : Mistail
PK 158+4 : Lenzer Hörn depuis l'Ouest un peu avant Sporz
PK 194+4 : Vue sur le col de Strelapass
PK 202+4 : Ziel : l'arrivée